Quel est le lien entre CO2 et température ?
S’il est maintenant établi que les émissions de CO2 ont un effet sur le climat, par ailleurs différent de ce qui a pu se produire par le passé, il est plus difficile de relier précisément la quantité émise avec le réchauffement climatique induit. Le rapport du GIEC nous fournit heureusement des indications précieuses nous permettant de réaliser la plus belle opération des mathématiques, à savoir la règle de 3.
La règle de 3 climatique
Multiple lines of evidence indicate a strong, consistent, almost linear relationship between cumulative CO2 emissions and projected global temperature change to the year 2100 […]. Any given level of warming is associated with a range of cumulative CO2 emissions […].
(GIEC, AR5, synthesis report, 2014)
Ce qui se traduit par « Nous avons de nombreuses preuves qu’il existe une relation très forte et cohérente entre la quantité totale d’émissions de CO2 et l’élévation de température projetée en 2100 […]. Chaque niveau de réchauffement est associé à une gamme d’émissions de CO2 cumulées […].«
Pour illustrer cette règle, le rapport fournit une figure illustrant en quoi l’approximation linéaire (c’est-à-dire que l’élévation de température est proportionnelle aux émissions de GES) est une bonne approximation pour évaluer notre impact.
La ligne droite grise correspond à l’élévation de température pour les émissions de CO2. On voit qu’elle est d’environ 3.5 degrés pour 8000 GtCO2 (la GtCO2 est l’unité correspondant à un milliard de tonnes de CO2). Autrement dit, la relation entre élévation de température et émissions cumulées est de 0.44C/TtCO2, où TtCO2 signifie une tératonne de CO2 (1000 GtCO2). Les émissions de CO2 sont notées sur l’axe horizontal en haut, et celles de carbone uniquement sont sur l’axe horizontal du bas. On peut les relier facilement, car une mole de carbone fait environ 12g tandis qu’une mole de CO2 fait environ 44g (12g+16g+16g en prenant en compte les deux atomes d’oxygène). Un gramme de carbone correspond donc à environ 3.66 grammes de CO2.
Aujourd’hui nous avons déjà émis environ 2000 GtCO2. C’est en fait déjà un peu plus car en 2014 le GIEC rapportait 1900 GtCO2 déjà émises, et comme on peut le voir sur la zone jaune du graphique ci-dessous, nous en rajoutons environ 33 GtCO2 chaque année rien qu’avec l’utilisation des énergies fossiles et les procédés industriels (comme la production de ciment). Si on rajoute les émissions liées à l’utilisation des terres, leurs changements et la forêt (FOLU en anglais, pour Forest and Other Land Usage), on atteint les 38 GtCO2 par an en 2010, et 43 GtCO2 par an en 2019. Et oui, malgré toutes les COP et toutes les déclarations de bonnes intentions, les émissions de CO2 sont en hausse continuelle.
Début 2020, nous avons donc déjà émis environ 2100 GtCO2. Avec une règle de trois, on en conclut donc que l’élévation à long terme de la température (ce n’est pas instantané malheureusement et c’est bien pour cela que l’on tarde à réagir…), même si on décarbone tout immédiatement en 2020, sera de 0.9 degré. On déduit également que si nous voulons rester sous les 1.5 degrés de réchauffement, il ne faudra pas dépasser les 3500 GtCO2. Si nous stabilisons nos émissions à ces catastrophiques 43 GtCO2 par an, cela sera dépassé en 2053 environ.
Mais la situation est en fait bien pire que cela ! En effet, il n’y a pas que le CO2 qui contribue à l’effet de serre. D’autre gaz sont massivement émis et vont rajouter leur effet de serre. Le GIEC en a dressé une petite liste avec leur pouvoir réchauffant. Afin de rendre la situation lisible, et pour débroussailler le problème, le GIEC a estimé les émissions futures de ces autres gaz en fonction des émissions de CO2. En considérant le pouvoir réchauffant équivalent de ces autres gaz, on arrive donc à une nouvelle relation entre les émissions cumulées de CO2 et l’élévation de température à terme, et qui est sensiblement plus pentue puisque les autres gaz ont un effet non négligeable. La relation obtenue est environ celle donnée par la ligne rouge de la figure 1, et qui est maintenant quasiment de 5 degrés pour 8000 GtCO2 (soit 0.63C/TtCO2).
Les règles de trois sont alors beaucoup plus cruelles. Avec les 2100 GtCO2 émises en 2020, nous avons déjà signé pour 1.3 degrés. Autant dire que les 1.5 degrés sont quasiment hors d’atteinte puisqu’il ne faudrait pas dépasser les 2400 GtCO2 et donc cesser d’émettre des GES en 2027 environ. Par ailleurs, même se résigner aux 2 degrés nécessiterait de ne pas dépasser les 3200 GtCO2. Au rythme actuel des émissions, il faudrait donc stopper brutalement en 2046. Le GIEC est encore plus clair dans son résumé pour les décideurs (c’est-à-dire pour nos politiques) :
Multi-model results show that limiting total human-induced warming to less than 2°C relative to the period 1861–1880 with a probability of >66% would require cumulative CO2 emissions from all anthropogenic sources since 1870 to remain below about 2900 GtCO2 […]
(GIEC, AR5, 2014)
Autrement dit le GIEC n’est même pas d’accord avec le calcul effectué plus haut d’une limite maximale de 3200 GtCO2, qui correspond en gros à la ligne moyenne des différents modèles, et qui permet d’estimer qu’il y a une chance sur deux que la température dépasse 2 degrés à cause des incertitudes sur les modèles climatiques. Le GIEC recommande qu’on se donne deux chances sur trois plutôt qu’une chance sur deux. D’ailleurs, qui voudrait traverser la route en ayant 2 chances sur 3 de ne pas être renversé ? Nous en sommes réduits à ce genre de pari…. Il faudrait alors viser au maximum 2900 GtCO2. Au rythme actuel, cela nous laisse tranquillement 19 ans d’insouciance, à moins que l’on se décide enfin à réduire ces émissions de manière très ambitieuse.
Evidemment, ces estimations sont entachées d’incertitudes liées aux modèles climatiques et cela est illustré par la zone colorée dans la figure ci-dessus. Vous trouverez une discussion détaillée sur ces incertitudes, notamment sur la manière dont les différents modèles traitent les émissions, et sur notre budget carbone restant, sur le site Carbon Brief. Il se peut donc que la pente ne soit que de 3 degrés pour 8000 GtCO2. Avec beaucoup de chance, la situation pourrait juste être simplement gravissime au lieu d’être catastrophique…
A quelle vitesse doit-on réduire nos émissions ?
Comme personne ne croit sincèrement que nous serons capables d’arrêter d’un seul coup d’émettre des GES en 2039 une fois que l’on aura atteint les 2900 GtCO2, nous devrions plus raisonnablement réduire chaque année nos émissions. Si chaque année nos émissions E sont réduites d’un taux t, un petit calcul rapide de série géométrique permet de déterminer la quantité totale émise dans le futur, à savoir
Pour ne pas rajouter plus que 800 GtCO2, afin de ne pas dépasser un total de 2900 GtCO2, il faudrait réduire nos émissions de t=4% chaque année. Et si nous voulons tenir les 1.5% degrés, et donc ne pas dépasser le cumul de 2400 GtCO2, il faudrait réduire les émissions de t=9% chaque année, dès maintenant. C’est donc largement trop tard, mais encore possible physiquement. Il faut commencer demain et c’est à peu près aussi violent que de s’entrainer pour le Marathon lorsqu’on n’a pas fait de sport depuis 10 ans…
Jamais la baisse de l’intensité énergétique de notre production (la quantité d’énergie nécessaire par unité de PIB), ni la baisse des émissions de CO2 par unité d’énergie, ne serons suffisantes pour atteindre cet objectif. La réalité économique indicible, c’est que ne pas foncer dans le mur climatique implique la décroissance en plus des efforts de décarbonation et d’efficacité énergétique.
Par ailleurs, le taux de réduction calculé ci-dessus est une moyenne sur tous les pays ! Il est clair que les pays développés, vont devoir se serrer la ceinture plus que les autres, car premièrement ce sont ceux qui ont le plus émis par le passé, et ce sont aussi ceux qui émettent beaucoup par habitant ! Soit nous choisissons de changer radicalement de modèle et d’indicateurs de développement, soit nous fonçons dans le mur en faisant les yeux doux à la croissance du PIB…
La concentration en CO2 augmente irrémédiablement
Et la concentration de CO2 dans l’atmosphère dans tout ça ? Elle est habituellement exprimée en parties par million (ppm). 1000 ppm, c’est 0.1%. Si on considère un gaz dans une enceinte donnée (ici toute l’atmosphère), la concentration sera le rapport du nombre de molécules de ce gaz sur le nombre total de molécules. En général, on compte les molécules par moles, comme en chimie, et la concentration peut être vue simplement comme le nombre de moles du gaz considéré, divisé par le nombre total de moles. L’atmosphère fait environ 5.1 1015 tonnes, soit 5.1 1021 grammes. Comme la masse molaire moyenne de l’atmosphère est d’environ 29 grammes (entre celle du dioxygène à 32 et celle du diazote à 28), cela nous fait, au doigt mouillé, la bagatelle de 1.8 1020 moles. On peut également estimer le nombre de moles correspondant à 1000 GtCO2 relâchés dans l’atmosphère. Comme la masse molaire du CO2 est d’environ 44 grammes, nous tombons sur 2.3 1016 moles ! En faisant le rapport approximatif 2.3 1016 / 1.8 1020 = 1.3 10-4, nous trouvons que ces 1000 GtCO2 correspondent approximativement à 130 ppm. Mais alors, pour les quelques 2000 GtCO2 environ déjà balancés dans l’atmosphère, cela devrait faire environ 260 ppm de plus ?
Et bien non. Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous, la concentration à l’ère préindustrielle tournait autour de 280 ppm, et aujourd’hui elle est « seulement » à la valeur hallucinante de 410 ppm.
Avec tout ce que nous avons craché, nous avons seulement rajouté 130 ppm au lieu des 260 attendus dans le calcul ci-dessus. L’explication provient du cycle du carbone qui occupe bien les climatologues. En effet une partie de carbone émis est absorbé dans l’océan et une autre partie dans les végétaux dont la croissance est stimulée par cette hausse de CO2 . Au final c’est environ la moitié du carbone qui est absorbée. On retiendra donc que 1000 GtCO2 émis correspondent environ à 65 ppm de CO2 en plus dans l’atmosphère. Ainsi, des émissions totales d’environ 40 GtCO2 par an ont pour conséquence d’augmenter la concentration d’environ 2.5ppm par an (à peu près 40 / 1000 x 65 ppm). Dans un peu moins de 60 ans, et si nous continuons à ce rythme là, nous aurons plus que doublé la concentration de CO2 par rapport à l’ère pré-industrielle, et nous plongerons dans l’après anthropocène…
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Merci !
Image Pixabay.
Bonjour,
tout cela est bien gentil, mais se pose une question, fondamentale….
Le CO2 absorbe dans l’IR sur principalement 2 gammes de fréquences pour ce qui nous intéresse à savoir l’absorption de l’albedo. Dont surtout la longueur de +/- 15 microns mètres. Et, il s’avère que la propriété physique du CO2 implique que cette absorption s’effectue à presque 100%…. Dit autrement, si vous augmentez la concentration de CO2 dans un volume donné, on ne voit pas bien comment cela augmenterait la capacité d’absorption… Au-delà de 100% qu’y a t il ???
Dire que le CO2 joue un rôle majeur dans « l’effet de serre », et donc l’augmentation de l’agitation moléculaire, revient à dire qu’augmenter une volume d’eau chauffé modifie sont point d’ébullition (à pression constante bien entendu)… Non, chez moi l’eau change d’état à 100° C pour 1 L ou pour 10 L….
Le CO2 n’a pas grand chose à voir avec les variations climatiques, mais c’est un indicateur bien pratique pour les politiques, car il est simple et on le retrouve partout. Cela permet aussi à bon compte aux industriels de relancer l’économie en expliquant aux braves gens qu’ils doivent changer leur voiture et leur frigo par une version qui émet moins de CO2, ce qui, soit dit en passant, est souvent faux…
Je vous conseille l’excellent livre du Pr Gervais, ex dir CNRS, spécialiste de l’infra rouge et relecteur du GIEC : L’innocence du carbone…. Tout est dans le titre !
Bien à vous,
L’effet de serre est traditionnellement présenté pour des absorptions partielles. Pour certaines longueurs d’onde c’est le cas.
Il est vrai que pour certaines gammes de longueurs d’onde, l’absorption est totale. L’erreur courante, est de croire que cela ne modifie en rien le transfert radiatif.
Pour comprendre comment cela se passe, on peut considérer comme modèle-jouet que le CO2 absorbe totalement les infrarouges dans toutes les longueurs d’onde.
Cela signifierait alors que les IR ne s’échappent vers l’espace que depuis une altitude très élevée, là où l’atmosphère au dessus est suffisamment fine pour que l’absorption n’y soit plus totale.
Le transfert se fait donc convectivement jusqu’à cette altitude élevée puis par rayonnement au delà vers l’espace.
Dans le cas d’un gaz qui absorbe totalement les IR, augmenter sa concentration revient à élever cette altitude de transition à partir de laquelle l’atmosphère est transparente.
Or la température à cette altitude de transition doit rester la même pour équilibrer le flux solaire. On a la même température à la zone de transition opaque/transparent, mais plus loin du sol.
Et comme le gradient de température est négatif (plus on va haut plus il fait froid, et donc plus on descend plus il fait chaud),
cela signifie que la température au sol doit alors être plus élevée.
Effectivement la Terre vue de l’espace en IR ne serait pas plus chaude ! Mais le sol se trouverait plus profondément sous cette surface d’émission IR.
Le vrai transfert radiatif est complexe car il mélange de tels phénomènes pour les longueurs d’onde très absorbantes, et l’effet de serre traditionnel pour les longueurs d’onde peu absorbantes.
Vulgariser c’est toujours trahir un peu. Dans le cas de l’effet de serre, on ne présente donc qu’une partie de l’histoire, celle des longueurs d’onde où l’absorption est faible.
On laisse volontairement de côté, par soucis de simplicité, les aspects où l’absorption est très élevée, car c’est plus difficile à expliquer.
En général ça ne pose pas de problème car lorsque l’on comprend les phénomènes associés à l’absorption élevée, on est généralement au fait de la physique des transferts radiatifs.
Mais il y a toujours quelques personnes pour se prendre les pieds dans le tapis dès qu’ils découvrent que l’absorption peut être élevée dans certaines longueurs d’onde, ce qui est vrai.
Pourtant toute cette physique est parfaitement claire et bien comprise depuis bien longtemps. C’est juste qu’elle est rarement vulgarisée, car un peu plus difficile conceptuellement.