Miner les astéroïdes sera-t-il rentable ?

Miner les astéroïdes sera-t-il rentable ?

2 mars 2023 Non Par Cyril Pitrou

Qui aurait pu prédire que l’entreprise Planetary Ressources qui visait à développer l’exploitation minière des astéroïdes ferait faillite ? À peu près tout le monde. Mais le plus important pour les créateurs est d’avoir vendu du rêve aux investisseurs et d’avoir terminé en beauté en se faisant racheter par une compagnie développant la blockchain.

L’histoire se répète avec AstroForge. Dix ans après le lancement de Planetary Ressources à coup de communiqués de presse débordant de naïveté, cette jeune pousse joue des mêmes ficelles pour prolonger le rêve et capter l’argent qui s’ennuie en Californie. L’entreprise prétend même, sans donner plus de détail, que cela permettra de protéger et préserver la Terre :

These missions are monumental not only for AstroForge, but for society at large – we’re proving step by step that asteroid mining isn’t a far-out sci-fi fantasy but a viable method to protect and preserve our Earth

AstroForge, 24 janvier 2023

Elle vise même plus fort. Cette fois, pas question de se fixer des objectifs intermédiaires. Le seul objectif du codirigeant, Matt Gialich, est de miner des astéroïdes. Il faudra réussir ou périr (en anglais c’est précisément « We either mine an asteroid or we fail. »). C’est-à-dire qu’ils continueront tant que des investisseurs leur donneront de l’argent.

L’espace est désormais la frontière de l’humanité, le nouveau Far West à explorer, et il est donc normal que la ruée vers l’or, avec ses espoirs et ses déceptions, s’y rejoue. Au pays des avions renifleurs, il serait cependant présomptueux de se moquer. Et d’ailleurs, combien de progrès techniques et d’avancées ont d’abord été moquées en leur temps ? Comment peut on savoir si une technologie verra le jour ?

Bien sûr qu’on ne va pas miner de manière rentable les astéroïdes dans 5 ou 10 ans. Mais est-ce envisageable dans 50 ou 100 ans ? S’il est difficile de faire des prédictions, notamment concernant l’avenir, on peut tout de même estimer les limites techniques et énergétiques d’un tel projet.

Pourquoi miner des astéroïdes ?

Tout d’abord il faut distinguer les différents objectifs du minage d’astéroïdes. La version la plus simple est très terre à terre, au sens propre du terme. Elle consiste à faire décoller un engin spatial depuis la Terre, à aller jusqu’à un astéroïde, en extraire les minerais intéressants, et les rapporter sur Terre.

Avant même s’avoir estimer le coût d’une telle entreprise, coût financier mais surtout coût en ressources et en énergie, il est clair que cette approche ne peut être intéressante que pour extraire des éléments très rares sur Terre. On pense alors aux métaux du groupe du platine dont la rareté les rend extrêmement chers, alors même qu’ils trouvent des applications industrielles par leurs propriétés catalytiques.

La deuxième version consiste à miner des ressources, non pas pour les rapporter sur Terre, mais dans le but de faciliter l’exploration du système solaire. À cause de l’attraction gravitationnelle de la Terre, il est très coûteux d’envoyer une objet dans l’espace. L’idée serait donc de fabriquer les sondes et vaisseaux spatiaux, directement depuis l’espace, afin d’économiser le coût de leur extraction de l’attraction terrestre.

Les matériaux que l’on chercherait à extraire ne seraient pas forcément rares. Ce seraient tout simplement les matériaux et le carburant utilisés habituellement pour les engins spatiaux. On pourrait chercher à extraire de l’eau, pour l’hydrolyser et fabriquer un mélange de dioxygène et de dihydrogène servant de carburant, et on extrairait les métaux nécessaires à la fabrication des différentes pièces des engins spatiaux.

Il est clair que ce deuxième objectif est loin d’être idiot. Il s’agit d’une idée très semblable à celle qui consisterait à utiliser la Lune, et donc ses ressources, comme base de lancement pour aller beaucoup plus loin. D’un certain sens, la Lune est un très gros astéroïde, qui a le bon goût d’être pas trop loin de la Terre.

Quel minerai espère-t-on trouver ?

En revanche le premier objectif se heurte à de nombreux obstacles. Tout d’abord, quelle raison aurait-on de trouver des astéroïdes renfermant une grande quantité de matériaux rares ? Le système solaire s’est formé à partir d’un nuage moléculaire dont la composition est bien connue, puisque celle-ci est déterminée par l’observation spectroscopique de l’atmosphère du Soleil. Voici la liste des éléments avec leur abondance :

Abondances dans le système solaire. L’échelle est logarithmique avec une convention déroutante : l’abondance du silicium (Si) est fixée à 10^6, et est donc à la hauteur du chiffre 6 des ordonnées. On observe que le fer (Fe) est à la même hauteur et donc à peu près aussi abondant que le silicium. Un élément à la hauteur de l’ordonnée 7, comme le carbone (C) est donc 10 fois plus abondant que le silicium, et un élément à la hauteur du 0, comme le rhodium (Rh) est 1 000 000 fois moins abondant que le silicium ou le fer.
Source : Wikipedia, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

Les éléments rares sur Terre, comme le Rhodium (Rh), sont également rares globalement dans le système solaire. D’une manière générale les atomes plus lourds que le zinc sont présents en très faibles quantités.

Les astéroïdes du système solaire possèdent une composition liée à la formation du système solaire. Les éléments gazeux sont absents, mais les métaux sont présents dans des proportions inévitablement assez semblables à celles du système solaire. Les météorites sont les astéroïdes les mieux connus puisqu’il s’agit de ceux qui sont tombés sur Terre. Il en existe de plusieurs sortes, selon qu’elles sont primitives ou résultant d’une évolution et donc d’une différentiation.

Les météorites primitives reflètent la composition du système solaire, et sans surprise, elles sont formées de fer, de nickel, de silicium, de magnésium, de carbone, de sodium, d’aluminium etc… Parmi les météorites différenciées, certaines sont plus riches en fer et en nickel. Les astéroïdes les plus prometteurs sont ceux de type M, car ils sont riches en métaux, mais même ceux-ci semblent contenir tout au plus 0.02% de métaux du groupe du platine, dont seulement 5% sont du rhodium, d’après une étude cosignée par un des dirigeants d’AstroForge1.

C’est beaucoup mieux que les 0.000002% en moyenne dans la croûte terrestre, ou les 0.0003% du minerai exploité sur Terre, mais c’est très loin d’un minerai pur et le minage nécessite donc tout un processus d’extraction, avec le matériel et les réactifs associés, avant le retour sur Terre.

AstroForge a pourtant pour ambition d’aller chercher ces métaux précieux dans les astéroïdes. À ce stade la démarche est très semblable à celle du fou qui cherche ses clés sous un lampadaire même s’il les a perdues ailleurs. On va chercher des métaux rares là où il y a quelque chose, un astéroïde, simplement parce qu’on pense qu’il est toujours plus positif de chercher plutôt que de ne rien faire. Mais la démarche, si elle est vouée à l’échec, n’est pas inoffensive pour autant, car tout lancement spatial a un coût énergétique, et donc un impact sur les ressources et le changement climatique.

Quelle énergie pour rapporter des matériaux extra-terrestres ?

Le principe des fusées

Oublions ces problèmes, et admettons qu’il existe des astéroïdes dont la composition est très riche en métaux précieux. Peut-on estimer l’énergie qu’il faudrait dépenser pour aller chercher et rapporter ces matériaux ? Cela permettrait d’estimer le coût minimal d’une telle démarche. En comparant au prix actuel de ces matériaux lorsqu’ils sont minés sur Terre, on pourrait juger de la pertinence économique.

En effet, il est certain qu’il est possible de rapporter des matériaux provenant d’astéroïdes. Tout d’abord, les missions Apollo ont permis de rapporter 382kg de roche lunaire, et la mission Hayabusa 2 a permis de collecter et rapporter 5g de l’astéroïde Ryugu. OSIRIS-Rex est une mission dont le coût atteint un peu moins d’un milliard de dollars et qui doit permettre de rapporter de l’ordre d’un kilogramme de roche provenant de l’astéroïde Bennu. La navigation aller-retour dans le système solaire est désormais bien maîtrisée, et toute la question est de savoir quelle quantité pourra être ramenée sur Terre, et à quel prix, si l’objectif est une exploitation des ressources extra-terrestres.

Pour cela il faut rappeler les contraintes fondamentales de l’exploration spatiale. Le déplacement dans le vide ne peut se faire qu’en utilisant le principe de réaction, c’est-à-dire en expulsant de la matière à haute vitesse. La navigation spatiale du futur reposera nécessairement sur l’emploi de moteurs permettant de récupérer bien plus d’énergie dans la matière, comme par exemple en utilisant la fission ou la fusion. Cela permettra d’expulser la matière considérablement plus rapidement et augmentera donc d’autant l’efficacité des moteurs de fusée. Mais on est très loin de maîtriser une telle technologie.

On va donc supposer que nous disposerons, et ce encore pour longtemps, de deux types de moteurs de fusées, à savoir les moteurs utilisant une réaction chimique (combustion) dont la vitesse d’expulsion est v_e = 4km/s, et des moteurs ioniques capables de produire et d’expulser des plasma à v_e = 30km/s grâce à une accélération électrostatique, ces deux moteurs existant actuellement.

L’équation la plus importante, déjà évoquée dans un billet précédent est l’équation de Tsiolkovski, qui détermine le changement de vitesse finale V dans le vide en fonction de la masse de carburant utilisée. Ou inversement cette équation permet de déterminer la quantité de carburant nécessaire pour obtenir une certaine vitesse. Voici donc les deux formes de cette équation :

(1)   \begin{equation*}V = v_e \ln\left(\frac{M_i}{M_f}\right)\,\qquad M_i = M_f \exp\left(\frac{V}{v_e}\right)\end{equation*}

M_i est la masse initiale totale, incluant le carburant et la charge utile (on suppose que la masse du moteur et des réservoirs sont négligeables), tandis que M_f est la masse finale, c’est-à-dire celle de la charge utile que l’on a propulsée.

Cette équation signifie qu’une fusée embarquant moitié de carburant et moitié de charge utile (M_i/M_f = 2), peut atteindre une vitesse finale égale à 70% de la vitesse d’éjection de ses gaz (V = 0.7 v_e). En revanche utiliser 9 fois plus de carburant que de charge utile (M_i/M_f = 10) ne permet d’atteindre que 2.3 la vitesse de d’éjection (V \simeq 2.3 v_e). Les vitesses que l’on peut conférer à une charge utile en fonction du type de moteur et du rapport de la masse totale sur la masse utile sont résumés dans le tableau suivant :

Rapport de masseMoteur chimiqueMoteur ionique
1.10.38 km/s2.9 km/s
22.8 km/s20.8 km/s
56.4 km/s48 km/s
109.2 km/s69 km/s
2012 km/s90 km/s
5015.6 km/s117 km/s
10018.4 km/s138 km/s
100027.6 km/s207 km/s

Quel moteur choisir ?

On sait qu’il suffit d’accélérer un objet à la vitesse d’environ 7.9km/s pour qu’il puisse rester en orbite basse. Et l’accélérer jusqu’à un peu plus que 11.2km/s, la vitesse de libération, permet également de le soustraire de manière permanente à l’attraction gravitationnelle de la Terre. Avec une propulsion chimique, on constate qu’il faudrait au minimum une fusée 20 fois plus massive que la charge utile pour effectuer le lancement d’une telle mission, alors que cela serait considérablement plus modeste pour un moteur ionique.

En pratique, la fusée, les réservoirs et le moteur ne sont pas sans masse, et même en de débarrassant des parties inutiles grâce à un système d’étages, même une fusée 100 fois plus massive que la charge utile ne permet pas d’atteindre la vitesse de libération sans recourir à la technique de l’assistance gravitationnelle. La sonde New Horizons qui a survolé Pluton a pu être lancée directement avec une vitesse de 16km/s mais la fusée Altas était 1000 fois plus massive !

On comprend donc l’intérêt d’utiliser un moteur avec la vitesse d’éjection la plus élevée possible. Pourquoi les lancements depuis la Terre se font-ils toujours avec des fusées chimiques, et non des fusées ioniques ? Cela pourrait pourtant permettre d’éviter d’utiliser des fusées gigantesques pour emporter de petites charges utiles.

Tout simplement parce qu’accélérer efficacement c’est bien, mais il faut tout de même accélérer rapidement ! En effet si le moteur de fusée crache ses gaz d’échappement trop lentement, la poussée du moteur est gâchée, car cela va surtout servir à s’opposer à l’attraction de la Terre sans avancer. Le summum du gâchis serait d’utiliser un moteur dont la poussée compense exactement le poids total de la fusée. Alors il ne servirait qu’à faire du surplace, à la manière d’un avion à décollage vertical Harrier ou d’un jet pack en vol stationnaire.

L’équation de Tsiolkovski (1) est en effet valable dans le vide, ou bien si les effets de la gravité peuvent être négligés pendant la phase d’accélération. Il s’agit d’une approximation boulet de canon où toute la poussée a lieu instantanément. Si ce n’est pas le cas, c’est-à-dire si on n’envisage pas un voyage à la manière de Jules Vernes vers l’espace, alors la poussée du moteur est forcément moins efficace. Cela explique notamment pourquoi il est nécessaire d’avoir des fusées chimiques au moins 100 fois plus massives que la charge utile pour conférer à cette dernière une vitesse supérieure à la vitesse de libération.

Les moteurs chimiques permettent de consommer le carburant à un rythme impressionnant, puisque le carburant du moteur principal est généralement consommé en quelques minutes. En revanche ce n’est pas le cas pour les moteurs ioniques pour lesquels le rythme de consommation de carburant est techniquement limité. Si les gaz d’un moteur ionique sont éjectés bien plus rapidement, le débit de masse éjectée est beaucoup faible.

Le moteur chimique est donc privilégié pour obtenir un effet boulet de canon et ainsi éviter le surplace au décollage, tandis que le moteur ionique est idéal pour les manoeuvres dans l’espace lors desquelles on peut prendre tout notre temps pour changer de vitesse.

Se déplacer dans le système solaire

La vitesse de libération évoquée précédemment, correspond à la vitesse qu’il faut donner à un objet au niveau du sol (en négligeant le freinage de l’atmosphère) pour qu’il continue sa course hors de l’attraction gravitationnelle de la Terre. Cela ne signifie pas qu’il poursuivra sa course à cette vitesse là, puisqu’en s’éloignant de la Terre sa vitesse sera ralentie, à la manière d’un vélo en roue libre dans une côte qui voit sa vitesse irrémédiablement chuter à mesure que son altitude augmente.

Avec une vitesse initiale au moins supérieure à la vitesse de la libération, il ne sera jamais ralenti au point de faire demi tour et retomber sur Terre. Mais cela peut s’avérer insuffisant pour ensuite pouvoir continuer son voyage dans le système solaire, et il faudra ensuite effectuer d’autres poussées, donc d’autres changements de vitesse. Pour chaque manoeuvre il est crucial que le changement de vitesse ressemble le plus possible à un boulet de canon, c’est-à-dire soit en pratique instantané, et il faudra donc veiller à utiliser le moteur approprié.

Les calculs des changements de vitesse nécessaires dans le système solaire sont un peu plus compliqués qu’une planification de voyage avec une carte IGN. Mais il s’agit de physique classique tout à fait bien connue et dans le cas du système solaire, l’ensemble des manoeuvres nécessaires pour explorer divers objets du système solaire sont résumées dans le tableau suivant, qui lui se lit comme une carte IGN :

Source : Wikipedia by CMG Lee, based on data on http://deltavposter.space and http://i.imgur.com/WGOy3qT.png.

Cela ressemble même franchement à un plan de métro, mais le prix à payer (changement de vitesse et donc carburant) n’est pas le même entre chaque station. À chaque étape, le changement de vitesse boulet de canon est indiqué en mètres par seconde. En partant de la Terre, on constate donc qu’il faut par exemple 9256 m/s, soit environ 9.3 km/s, pour se placer sur une orbite à 250 km, d’altitude.

Pour échapper au système de la Terre et de la Lune, il faut ajouter les coûts des différentes étapes et le changement de vitesse nécessaire est de 9256 + 2440 + 679 + 93 = 12 468m/s, soit environ 12.5 km/s. Et pour ensuite aller se poser sur Venus, il faut rajouter 280 + 359 + 2939 + 29 705 = 33283 m/s soit environ 33 km/s à la vitesse de libération. Certains de ces changements sont des freinages, puisque pour se poser sur une planète il faut réaliser une manoeuvre opposée à celle nécessaire pour la quitter.

Néanmoins, cela a tout de même un sens d’additionner les changements de vitesses car c’est avant tout le coût en carburant sous-jacent qui nous intéresse. Or que ce soit pour accélérer ou freiner, cela consomme du carburant dans les deux cas. L’addition des vitesses ne dit rien sur la vitesse finale, mais simplement permet de connaître le coût en carburant lorsqu’on applique l’équation de Tsiolkovski (1).

On remarque que pour aller sur Mars, il suffit de rajouter 388 + 673 + 336 + 395 + 698 + 3578 = 6068 m/s soit environ 6 km/s. Et comme Mars est bien moins inhospitalière que Vénus, on comprend que cela soit le prochain objectif d’exploration.

Ces calculs négligent cependant la possibilité d’utiliser le phénomène d’assistance gravitationnelle, aussi appelé fronde gravitationnelle. En pratique c’est ce qui est utilisé pour explorer les confins du système solaire pour lesquels la somme des changements de vitesse devient rédhibitoire. Enfin certains freinages à l’arrivée peuvent être réalisés grâce aux frottements de l’atmosphère, avec un bon bouclier thermique et des parachutes.

Estimation pour un astéroïde

Le tableau suivant donne le coût, en terme de changement de vitesse depuis l’orbite basse terrestre, pour atteindre certains astéroïdes du système solaire :

Histogramme des changements de vitesse (en km/s) nécessaires depuis l’orbite basse terrestre pour atteindre les astéroïdes. En vert les astéroïdes qui sont parfois très proches de la Terre, et en bleu ceux de la ceinture principale d’astéroïde.
Source : A Delta-V map of the known Main Belt Asteroids, Acta Astronautica 146 (2018) 73–82

On constate qu’il faut rajouter typiquement 10 km/s à partir de l’orbite basse terrestre (pour laquelle il faut déjà 8 km/s) pour rejoindre les astéroïdes de la ceinture principale située entre les orbites de Mars et Jupiter. Cependant une petite partie des objets (en vert sur la figure) ne faisant pas partie de cette ceinture ont le bon goût de passer parfois près de la Terre. Pour les plus accessibles de ces derniers, il suffit d’impulser un changement d’environ 4 km/s pour s’y rendre.

On peut donc considérer qu’il faut environ 8+4=12 km/s pour atteindre les astéroïdes les plus faciles d’accès. C’est assez similaire au changement de vitesse total nécessaire pour aller jusqu’à la Lune et y alunir, une opération déjà bien maîtrisée ! Or la mission Apollo a nécessité une fusée de 3000 tonnes pour déposer un module lunaire de 15 tonnes. Par ailleurs la mission Hayabusa-2, qui est allée récupérer un échantillon sur un astéroïde, a utilisé une fusée de 450 tonnes pour une sonde spatiale de seulement 600 kg.

Le rapport entre la masse initiale de la fusée et la charge utile est donc bien plus élevé que la limite théorique mentionnée précédemment. C’est bien normal, puisque les réservoirs et les moteurs ne sont pas sans masse, ce qui dégrade la performance de la fusée. On peut donc considérer qu’il faut une fusée entre 200 et 1000 fois plus massive que la sonde qui ira se poser sur un astéroïde.

Le retour sur Terre

Se poser sur un astéroïde est déjà une prouesse et nécessite une quantité de carburant phénoménale, mais il faut encore pouvoir le miner et revenir avec le minerai intéressant. Que nous apprennent les mission Apollo et Hayabusa-2 ?

Tout d’abord si on souhaite revenir sur Terre en utilisant une trajectoire exactement inverse, il faudrait de nouveau que la charge utile, celle qui arrive sur Terre, soit de l’ordre de 100 fois plus faible que la masse au départ de l’astéroïde. En effet s’il a fallu considérablement accélérer pour partir de la surface terrestre sans vitesse initiale, il faut dépenser les mêmes quantités de carburant pour y retourner et y atterrir à la manière de la fusée Falcon 9 de SpaceX.

Mais on peut faire beaucoup mieux en s’aidant de l’atmosphère terrestre. En effet, on peut ralentir très fortement grâce aux frottements de l’atmosphère et terminer la course au moyen de parachutes. Cela permet d’économiser le carburant pour le trajet du retour. Il suffit d’effectuer le changement de vitesse pour se placer sur une orbite de retour terrestre, mais sans nécessairement freiner à l’arrivée, ce qui est de loin le plus coûteux. Dans ce cas il suffit de conférer un changement de vitesse de l’ordre de 2 km/s pour amorcer le retour. Mais il faut un bon bouclier thermique à l’arrivée !

Dans le cas d’Apollo la capsule de retour faisait un peu plus de 5 tonnes soit 3 fois moins que ce qui s’était posée sur la Lune. La comparaison est néanmoins hasardeuse car la mission était constituée d’un module de commande et de service qui était resté en orbite lunaire et c’est une partie de ce module, qui est rentrée dans l’atmosphère terrestre, le module lunaire ayant été abandonné.

Cependant cela permet d’obtenir un ordre de grandeur de ce que l’on peut rapporter de la Lune. Seule une fraction de la capsule de retour correspond vraiment à de la charge utile, à savoir les astronautes et les échantillons lunaires. On peut donc estimer qu’une mission lunaire du type Apollo, si elle avait été automatisée, aurait permis de ramener environ 1 tonne de roches lunaires. Soit 3000 fois moins que la fusée initiale.

Dans le cas d’Hayabusa-2, le retour a est également été optimisé grâce à un freinage dans l’atmosphère. De plus afin d’impulser les 2 km/s nécessaires pour se placer sur la trajectoire de retour, un moteur ionique a été utilisé. Grâce au tableau précédent, on constate qu’il ne faut qu’une petite quantité de carburant dans ce cas. Et effectivement sur Hayabusa-2 le carburant ne constituait qu’environ 15% de la masse totale. Même si Hayabusa-2 n’a ramené que 5g, on peut imaginer qu’une mission idéale aurait pu ramener au moins 25% de la masse de la sonde, soit environ 150 kg, de minerai extraterrestre. Ce qui est tout de même de l’ordre de 3000 fois moins que la fusée initiale.

Pour estimer le coût d’une mission, on peut d’abord se concentrer sur le prix de la fusée pour effectuer le lancement de la sonde de minage. Ariane 5 facture chaque lancement 200 millions d’euros, alors qu’elle pèse 750 tonnes au décollage. En retenant que la masse de minerai rapportée serait 3000 fois inférieure, une telle mission permettrait de rapporter 250 kg. Cela place le kilogramme de minerai légèrement en dessous du million d’euros et donc probablement plus puisqu’il faut rajouter le coût de la sonde.

C’est donc largement supérieur au prix du minerai le plus cher, le rhodium, qui s’échange autour de 400 000 euros le kilogramme. Soit l’astéroïde miné est constitué de ce métal sous une forme pure, ce qui n’a aucune chance d’arriver, et ça n’est déjà pas rentable de le rapporter. Soit il est présent en plus faible quantité et il faut alors réaliser des opérations de séparation sur place avant de l’embarquer, ce qui diminue d’autant la charge utile que l’on peut renvoyer sur Terre, puisqu’il faut un équipement et des réactifs pour effectuer la séparation d’éléments.

Dans tous les cas, cela ne peut pas être rentable. La seule chose qui est vraiment rentable, c’est de vendre du rêve.

1Precious and structural metals on asteroids, K. Cannon, M. Gialich, J. Acain, Planetary and Space Science, Vol 225, 105608 (2023)

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Image par Luis Mencos de Pixabay